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El Roslino
Des signaux d'alarmes existaient depuis février 2021, laissant entendre que le contrat des sous-marins australiens pouvait être menacé. La France semble s'en être inquiété, mais elle a été leurrée par une parole officielle qui a démenti jusqu'au bout.
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Le sous-marin nucléaire d'attaque "Saphir" en surface lors d'exercices d'entraînement le 1er mars 2009 au large de Toulon.
La France a-t-elle fait preuve de naïveté dans l'affaire des contrats des sous-marins australiens ? Depuis février 2021 des signaux d'alarme alertaient Naval Group et le gouvernement, mais ils se sont heurtés aux constants démentis des autorités australiennes.
Nous sommes le mercredi 2 juin. Greg Moriarty, le numéro deux du ministère de la Défense australien s'exprime devant son parlement. Face aux questions insistantes d'un sénateur, il lâche une petite bombe : son gouvernement cherche un plan B au programme des sous-marins français. S'en suivent plusieurs demandes de précisions de la part de parlementaires sur ce fameux plan B. Mais Greg Moriarty n'en dira pas plus. Journaliste au Sydney Herald Tribune, Anthony Galloway, se souvient très bien de ce jour qu'il qualifie comme un moment clé de l'affaire des contrats. Lui-même a écrit une trentaine d'articles sur le sujet depuis deux ans. "Nous, de notre côté, on a alors compris qu'il était en train de se passer quelque chose". Chez Naval Group, on se souvient aussi de ce 2 juin. Les dirigeants suivent l'audition avec attention en direct à l'heure du petit déjeuner. Passé un moment de surprise, on se rassure : "Car dans le cadre de ces auditions, d'autres disent qu'il n'y a pas de plan B. Donc nous industriels, on continue à faire notre travail", a-t-on confié à la cellule investigation de Radio France.
Février 2021 : une période clé
Ce soupçon d'un possible coup de canif dans le contrat remonte en fait à bien plus tôt. Ces deux dernières années, de nombreuses rumeurs venues du gouvernement australien sur un éventuel retrait du contrat avec Naval Group ont été relayées dans la presse. En février 2021, la situation se tend. Le projet a déjà pris neuf mois de retard. Pierre Éric Pommellet, le PDG (qui est arrivé en mars 2020 à la tête du groupe), en personne, se rend en Australie durant trois semaines, malgré le Covid. Preuve de l'importance de son déplacement : il passera deux semaines confiné dans un hôtel avant de pouvoir rencontrer les dirigeants australiens et notamment Greg Moriarty.
Le 24 février 2021, The Financial Review (le plus important quotidien économique en Australie) écrit sous la plume d'Andrew Tullett un article au titre pour le moins spectaculaire : Le projet de sous-marins français à 90 milliards de dollars pourrait couler. L'article précise notamment "qu'une étude très importante ordonnée par le Premier ministre Scott Morrison est en passe d'étudier comment stopper le contrat avec la France. Et ce malgré les risques diplomatiques".
À Naval Group, on semble s'en être inquiété. Mais on relativise aujourd'hui. On aurait interprété ces alertes comme les symptômes d'une activité démocratique agitée. Depuis le début du projet en 2016, certains partis d'opposition en Australie ont tenté de décrédibiliser le programme, explique un porte-parole du groupe, avant d'ajouter. "On prenait une nouvelle attaque tous les 6 mois. C'est classique. Pour nous les signaux médiatiques n'étaient pas révélateurs".
En coulisses : une intense activité diplomatique
Selon le ministère des armées, quelques jours après l'audition de Greg Moriarty, le 9 juin 2021, Florence Parly, contacte son homologue Peter Dutton. Ce dernier se montre extrêmement rassurant réaffirmant l'attachement de l'Australie au programme des sous-marins. Une semaine plus tard, après un G7 en Cornouailles, Emmanuel Macron rencontre le Premier ministre australien Scott Morrison à l'Élysée pour une réunion de travail, puis un diner. Il semble qu'alors l'inquiétude ait tout de même gagné les rangs français. Car dans la foulée, Emmanuel Macron décide d'envoyer une lettre à Scott Morrisson. Selon Anthony Galloway, du Sydney Herald Tribune, cette missive avait pour but de réaffirmer sa volonté de développer la coopération avec l'Australie.
Cette activité diplomatique souterraine et quasi-continue se poursuit le 24 juin. Florence Parly s'entretient à nouveau avec Peter Dutton. Aujourd'hui, le ministère des armées relativise. Il s'agit certes d'un dossier "compliqué", nous a-t-on expliqué, avec des tensions, mais il n'est jamais question, à ce stade, affirme-t-on, d'une possible rupture de contrat de la part des Australiens.
Ce 24 juin, cependant, Peter Dutton donne à Florence Parly un indice qui aurait l'alerter. Il lui fait part de sa préoccupation liée à la montée en puissance de la Chine. De quoi mettre la puce à l'oreille de Paris ? Pas vraiment selon le ministère des armées. Les deux parties, nous explique-t-on, se mettent d'accord pour que des experts en parlent plus précisément, plus tard...
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Canberra dément jusqu'au bout
Les discussions entre Australiens et Français se poursuivront. Deux mois plus tard, le 30 août 2021, a lieu une visioconférence avec d'un côté Florence Parly et Jean-Yves Le Drian, et de l'autre, leurs homologues australiens. À l'issue de cet entretien, un communiqué est rédigé par les 4 ministres. Le point 21 de ce texte, très diplomatique, précise que "les ministres ont souligné l'importance du programme des futurs sous-marins".
Le 15 septembre, quelques heures avant que Scott Morrison envoie la lettre à Emmanuel Macron annonçant la rupture du contrat, le ministère des armées et Naval Group reçoivent une notification australienne : un point d'étape faisant état de la satisfaction des autorités sur le déroulement du programme. Preuve que personne ne se doutait de rien : à ce moment-là, Naval Group était, selon son porte-parole, en train de préparer la visite à Cherbourg d'un haut gradé australien. La rupture du contrat semble donc être resté secrète jusqu'au dernier moment, y compris en Australie ou seules quelques personnes au plus haut sommet de l'État étaient dans la confidence.
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Les services de renseignement en sommeil
Face aux signaux faibles qui l'alertaient, la France semble donc avoir pris pour argent comptant la parole officielle des australiens. D'où une autre question : les services de renseignements sont-ils passés à côté ? Éric Denécé, le directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement répond par l'affirmative. "En France, lorsqu'on a un contrat gagné, on ne se méfie plus de personne". La DGSE n'agit que lorsqu'elle est missionnée, précise une source proche des services. Or l'Australie n'a pas été jugée comme une priorité. D'autant moins que cette région du globe est sous dotée en moyens de renseignement, contrairement à d'autres zones où la menace, terroriste notamment, est jugée bien plus importante.
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