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Solenne
Un nouveau Monopoly sans billets mais avec un ordinateur
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Cela s'annonce comme un véritable déchirement pour ceux qui ont appris à compter leur argent en encaissant les loyers de la rue de la Paix ou de l'avenue des Champs-Elysées: dans la nouvelle version du Monopoly, les billets seront remplacés par de l'argent électronique stocké par une banque centrale. Comme nous l'explique le New York Times, le fabricant Hasbro a présenté cette nouvelle version, appelée Monopoly Live, à la foire du jouet de New York mi-février.
Le quotidien dresse un portrait glaçant de ce Monopoly revu à la sauce 1984 et 2001 l'Odyssée de l'espace, entre Big Brother et Hal:
«Au centre, à la place des dés et des cartes chance et communauté, une tour infrarouge avec un haut-parleur délivre des instructions, décompte l'argent des joueurs et s'assure que chacun obéit aux règles. Cette tour omnisciente contrôle aussi que chacun avance du bon nombre de cases.»
Le joueur, lui, passe la main au-dessus de son pion, ou des maisons et hôtels, pour être détecté par la tour infrarouge et que celle-ci lui dise d'avancer ou lui permette d'acheter. Il insère une carte spéciale dans la tour pour obtenir un «relevé» de son argent. La tour peut elle essayer d'animer le jeu, connu pour sa longueur légendaire, si la partie s'avère trop lente.
Avec cette nouvelle version, le but de Hasbro est, note le New York Times, «d'attirer une génération élevée aux jeux vidéo dans un marché difficile pour le jeu de société classique, dont les ventes ont baissé de 9% en 2010». Mais «pour les familles habituées à se disputer sur les règles, les joueurs qui cachaient un billet de 100 dollars sous le plateau pour l'utiliser plus tard et les amis qui se réclamaient avec délectation des loyers entre eux, il pourrait être difficile de s'habituer à la présence d'un ordinateur».
Monopoly à la sauce Milton Friedman Pour ceux-ci, heureusement, la version «classique» continuera d'être vendue. Pas sûr cependant que cela suffise à rassurer ceux qui, comme Damon Darlin, spécialiste de la high-tech au New York Times, voient le Monopoly non seulement comme un jeu, mais comme un outil pédagogique. Dans un billet publié par le quotidien quelques jours après le premier article sur le Monopoly Live, il s'inquiète des conséquences potentielles de cette nouvelle version:
«Une génération d'enfants pourrait ne jamais apprendre à changer. Ne jamais apprendre à se disputer au sujet des règles et à les modifier. Et ne jamais apprendre d'importantes leçons économiques, au contraire de ce qu'un groupe de fanatiques du Monopoly dont je faisais partie à l'université a fait.»
Darlin était étudiant à l'université de Chicago à la fin des années 1970, époque où les «Chicago boys» de Milton Friedman (le prix Nobel d'économie 1976, connu pour avoir inspiré les politiques de la présidence Reagan) étaient au sommet de leur gloire. Lui et ses camarades s'inspiraient de leurs théories pour jouer:
Nous avions décidé que le Monopoly était hostile à la libre concurrence car il limitait le nombre de maisons ou d'hôtels que quelqu'un pouvait acheter. Nous avions approuvé par un vote le fait qu'un joueur puisse acheter autant d'hôtels qu'une case pourrait en contenir, avec des loyers qui augmenteraient en proportion. Problème: la banque a commencé à être à court d'argent. Nous avons donc fait ce que n'importe quel gouvernement aurait fait: en imprimer davantage, en gribouillant l'inscription “500$” sur des bouts de papier.
Nous en avons imprimé beaucoup. Les prix ont grimpé, ce que, même dans notre état d'ivresse avancé, nous savions être une conséquence de la hausse de l'offre de monnaie. [...] L'inflation est devenue si forte que nous avons encore changé les règles en diminuant l'offre de monnaie: les billets que nous avions fabriqués qui revenaient à la banque étaient retirés du jeu. S'en est suivie, bien sûr, une récession sévère: les prix se sont effondrés et cela a été la course pour liquider ses actifs.»
Darlin se souvient notamment avec amusement du jour où un de ses camarades a demandé à Milton Friedman de lui dédicacer son plateau de jeu: ce dernier a écrit «Down to» juste au-dessus de l'inscription Monopoly, formant ainsi le slogan «A bas le monopole».
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