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Pour la première fois dans l'histoire parlementaire, un rapport se penche sur les pratiques du secteur et ses conséquences. Il émet 23 recommandations.
Six mois de travaux, des dizaines d'heures d'auditions et une analyse des principaux contenus pornographiques en ligne aujourd'hui. Pour la première fois dans l'histoire parlementaire, un rapport d'information du Sénat se penche sur les pratiques de l'industrie pornographique. Il est présenté, mercredi 28 septembre, par les sénatrices Alexandra Borchio-Fontimp (Les Républicains), Laurence Cohen (communiste), Laurence Rossignol (socialiste) et Annick Billon (Union centriste).
"Complément d'enquête", dont l'émission du 29 septembre est consacrée aux violences faites aux femmes dans ce milieu, a pu consulter ce document de près de 150 pages. Intitulé "Porno : l'enfer du décor", il s'inscrit dans un contexte judiciaire inédit : pour la première fois en France, deux acteurs du secteur, French Bukkake et Jacquie et Michel, sont dans le viseur de la justice, notamment pour "viols en réunion, traite aggravée d'êtres humains et proxénétisme aggravé".
Après les auditions "éprouvantes" des victimes dans ces deux affaires, qui révèlent une "porosité entre proxénétisme, prostitution et pornographie", les auteurs se sont interrogés : faut-il aller vers une interdiction de "toute représentation non simulée d'actes sexuels à l'écran" ? "Nous n'avons pas choisi cette voie abolitionniste car ce marché est tellement opaque et en constante évolution qu'il est impossible de l'interdire, explique à franceinfo Annick Billon. Mais on ose demander aux gens d'ouvrir les yeux. Je suis persuadée que ce rapport est une bombe." Voici ce qu'il propose, en 23 recommandations.
Mettre sur la place publique les violences pornographiques et leurs conséquences.
Le constat. L'industrie de la pornographie "génère des violences systémiques envers les femmes", qu'il s'agisse des actrices ou de celles qui "subissent une sexualité calquée sur les normes de violences véhiculées par le porno", constate la mission. Il est donc urgent d'en faire une "priorité" dans le débat public. Avec la massification de l'offre pornographique depuis le milieu des années 2000, la consommation a explosé, entraînant un phénomène d'accoutumance et des contenus de plus en plus "trash". Selon plusieurs études citées dans le rapport, 90% des scènes pornographiques comportent de la violence, physique et verbale, et charrient des "stéréotypes misogynes, racistes, lesbophobes et hypersexualisés". Lors de son audition par la délégation parlementaire, Laure Beccuau, procureure de la République au parquet de Paris, a établi un lien entre la lutte contre cette industrie et celle contre les violences conjugales.
La sénatrice Annick Billon a écrit :
Nous n'avancerons jamais dans la lutte contre les violences intrafamiliales et les féminicides si on n'inverse pas la tendance en matière de pornographie.
Les recommandations. Le rapport appelle à ce que "les conditions dans lesquelles se déroulent la plupart des tournages pornographiques soient connues de toutes et tous", notamment des consommateurs, qui doivent être "informés des dessous de fabrication sordides de cette industrie prédatrice". Les parents doivent être aussi "pleinement conscients" que leurs enfants "seront confrontés, au cours de leur minorité, volontairement ou non, de façon répétée, intensive ou épisodique, à du contenu pornographique violent".
Renforcer l'arsenal judiciaire pour mieux protéger les actrices.
Le constat. Les auditions l'ont confirmé : les recruteurs dans le milieu de la pornographie ciblent des femmes jeunes, voire très jeunes, précaires et fragiles psychologiquement. "Le mode opératoire est toujours le même : il consiste à violer une première fois pour soumettre les victimes", décrit l'avocate Lorraine Questiaux, entendue par la délégation. La mise en place, par de rares professionnels, de contrats de travail plus réglementaires, qui détaillent les pratiques sexuelles acceptées, est une mesure "cosmétique" et insuffisante selon les auteurs, "compte tenu du caractère par nature réversible à tout moment du consentement en matière sexuelle". Mais l'idée que le consentement des actrices est acquis a la vie dure.
Nikita Bellucci, actrice, réalisatrice et productrice de contenus pornographique a écrit :
Pourquoi avoir dû entendre des propos tels que : 'Vous comprenez, Mademoiselle Bellucci, ce que vous décrivez, ce sont les risques du métier et vous avez signé pour ça' ?
Les recommandations. Pour la sénatrice Annick Billon, il "faut changer de logiciel, comme on l'a fait pour le viol conjugal. Oui, il y a des viols dans le porno, tout le monde doit l'intégrer, à commencer par les victimes et les policiers qui les entendent." Le Sénat espère que les informations judiciaires en cours vont ouvrir la voie à un #MeToo dans la pornographie, encourageant d'autres victimes à porter plainte. Le rapport recommande de former les forces de l'ordre au recueil de ces plaintes spécifiques et d'instaurer le suivi de leur dossier par un contact unique. Il appelle l'exécutif à donner plus de moyens aux enquêteurs et magistrats chargés de ces enquêtes pour "absorber le nombre croissant de dossiers potentiels", comme l'a pointé la procureure Laure Beccuau lors de son audition. Les auteurs veulent aussi "faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale".
Faciliter la suppression des vidéos en ligne pour le "droit à l'oubli".
Le constat. Une fois en ligne et dupliquées sur les plateformes de diffusion, les vidéos sont quasi impossibles à faire retirer, empêchant les actrices d'exercer leur "droit à l'oubli", déplore le rapport. C'est particulièrement vrai dans le porno amateur, où les producteurs "poussent les femmes à signer des contrats de cession de droit à l'image illimités". Si elles réclament ensuite un retrait, ils leur demandent entre 3 000 et 5 000 euros, soit dix fois plus que la rémunération obtenue pour la scène tournée. Dans l'affaire French Bukkake, les producteurs avaient assuré que les scènes filmées étaient "pour du privé" ou "pas diffusées en France". Des parties civiles ont raconté combien la diffusion non consentie de leurs vidéos sur des sites internet accessibles depuis la France avait chamboulé leur vie.
Une partie civile dans l'affaire French Bukkake a écrit :
Cela fait six ans que j'ai subi tous ces viols et que cela continue car c'est sur internet. Je suis violée tous les jours, à chaque fois que ces vidéos sont visionnées.
Les recommandations. Les sénateurs estiment qu'il faut "imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite". Ils encouragent aussi les autorités à "créer une catégorie 'violences sexuelles' dans les signalements [sur la plateforme] Pharos afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements".
Appliquer (enfin) la loi pour interdire l'accès des mineurs à la pornographie.
Le constat. Les auteurs dénoncent "une consommation massive, banalisée et toxique" de pornographie chez les enfants et adolescents. Les chiffres cités dans le rapport sont édifiants. Sur les 19,3 millions de visiteurs uniques qui se rendent chaque mois sur un site pornographique, 2,3 millions ont moins de 18 ans. Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques. La première exposition peut intervenir dès le primaire. Les conséquences sont multiples : traumatismes, troubles du sommeil, de l'attention et de l'alimentation, vision déformée et violente de la sexualité... Le Code pénal interdit pourtant toute diffusion de contenu pornographique susceptible d'être vu par un mineur. Mais les recours judiciaires n'aboutissent pas au blocage des sites, regrettent les sénateurs.
Le gynécologue Israël Nisand a écrit :
Donner aux enfants des images porno dans la rue, c'est un délit passible de prison, mais le faire sans aucun contrôle ni limitation, c'est possible sur la toile.
Les recommandations. Actuellement, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, ex-CSA) n'a pas les mains libres pour sanctionner directement les sites accessibles aux mineurs. Elle doit procéder par voie d'huissier et faire des mises en demeure. Le rapport préconise d'assermenter ses agents pour qu'ils puissent constater eux-mêmes les infractions et de permettre à l'Arcom de prononcer une sanction administrative aux montants dissuasifs, comme cela se fait déjà en matière de lutte contre la haine en ligne.
L'autre levier d'action est la vérification de l'âge des internautes. Les sénateurs insistent sur l'urgence de trouver des solutions techniques satisfaisantes pour vérifier leur identité tout en protégeant les données personnelles. Aujourd'hui, aucune méthode n'est complètement fiable. En attendant, la mission réclame que le contrôle parental soit activé par défaut lorsqu'un abonnement téléphonique est souscrit pour un mineur.
Miser sur la prévention en donnant des moyens à l'Education nationale.
Le constat. "Si les enfants souhaitent accéder à des contenus pornographiques, c'est d'abord parce qu'ils se posent des questions sur la sexualité", a observé devant la délégation Olivier Gérard, de l'Union nationale des associations familiales (Unaf). Or, les trois séances annuelles d'éducation à la vie affective et sexuelle, prévues par la loi depuis 2001, ne sont pas appliquées, constate le rapport. Les parents ne sont pas mieux outillés ni informés. Selon une étude réalisée par l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open) et l'Unaf, un quart d'entre eux ne considère pas qu'il existe un risque d'exposition à la pornographie dans l'espace numérique.
Les recommandations. Les sénateurs demandent une évaluation annuelle de l'application de la loi dans chaque académie, avec la désignation d'un délégué. Et plaident pour que dans ces séances, "les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie" soient abordés. "Une approche par la santé semble plus efficace auprès des adolescents qu'une approche moralisatrice ou culpabilisante", relèvent les sénateurs. Pour cela, elles mettent en avant la nécessité de recruter des professionnels de santé formés : "L'Education nationale ne compte que 7 700 infirmiers pour 62 000 sites scolaires et 13 millions d'élèves. C'est trop peu." Enfin, la mission juge utile de sensibiliser les parents en menant une campagne de communication autour de la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr.
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