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La peinture blanche est efficace contre les îlots de chaleur, mais n'est pas une solution miracle, estiment les experts interrogés par franceinfo.
Et s'il suffisait d'un coup de peinture blanche pour faire barrage à la canicule ? Alors que le pourtour méditerranéen connaît des records de température en ce mois de juillet, les villes du sud de l'Europe, touchées par des phénomènes d'îlot de chaleur, se sont transformées en fournaise. A Grenoble, où le thermomètre dépasse de plus en plus souvent les 40°C, le toit de la Bifurk, un ancien bâtiment industriel reconverti en pépinière associative, a été peint en blanc dans le but de lutter contre ce phénomène.
Une opération réussie, selon le maire de Grenoble Eric Piolle. " La température du toit de la Bifurk a chuté de 30°C avec la peinture blanche", se réjouissait-il sur Twitter le 21 juillet. Une étude est " en cours sur d'autres bâtiments municipaux" et des rues ont également été rénovées sur le même principe en utilisant des "matériaux clairs", précise l'édile dans un autre message.
L'idée permet-elle effectivement de lutter contre la canicule ? Franceinfo a posé la question à des experts.
De 25 à 30°C de différence aux pics de l'été.
En Grèce, en Italie ou encore au Maroc, les murs et toits blancs font partie de l'architecture traditionnelle des villes. Empiriquement, les habitants de ces pays très ensoleillés ont compris que peindre leurs bâtiments en blanc permettait de se protéger de la chaleur, avance Tangui Le Dantec, architecte et enseignant en ingénierie environnementale. "Lorsque l'énergie lumineuse, qui vient du soleil, touche une surface, celle-ci est soit réfléchie, soit convertie en chaleur. C'est de la thermodynamique", développe cet expert.
Donc, plus une surface réfléchit la lumière, moins elle emmagasine de chaleur, et inversement. On appelle ce phénomène l'effet d'albédo. Selon ce principe, un miroir reflète 100% de la lumière, tandis qu'un corps noir parfait l'absorberait totalement. La peinture blanche, elle, réfléchit environ 80% de la lumière - c'est d'ailleurs pour cette raison que notre œil la perçoit comme blanche. Mais cela est-il suffisant pour permettre une baisse de la température aussi significative que celle qu'avance Eric Piolle ?
Pour en avoir le cœur net, la mairie de Grenoble a chargé le bureau d'études Canopée, spécialisé dans la qualité environnementale des bâtiments, d'évaluer la performance de la peinture blanche appliquée sur le toit de la Bifurk. Son rapport, que franceinfo a pu consulter, conclut à l'efficacité du dispositif et estime que "le procédé pourrait donc être étendu à d'autres bâtiments de l'agglomération". Cependant, le chiffre de 30°C avancé par Eric Piolle est à relativiser.
Dans son dossier, le cabinet compare les températures enregistrées avant et après l'application de la peinture blanche. En 2020, avant le coup de rouleau, "la température de toiture a atteint quasi 70°C". En 2021, une fois le toit repeint en blanc, "la température en surface de toiture n'a jamais atteint les 50°C", avec des pics autour de 45°C, ce qui permet de conclure à un "écart moyen d'environ 25°C à 30°C" au plus fort de l'été. Mais lorsque l'on considère la moyenne, les mesures sont cependant un peu moins impressionnantes. La température mesurée à la surface du toit était en moyenne de "32,1°C" en 2020, contre "22,7°C", en 2021, soit une différence de 9,4°C.
De plus, ces mesures n'ont pas été effectuées la même année. La météo n'a donc pas été exactement la même à l'été 2020 et à l'été 2021. Selon le site Infoclimat, l'été 2021 a été un peu moins chaud que l'été 2020. En 2020, la température moyenne s'élevait à 24,5°C en juillet et à 24°C en août. Tandis qu'en 2021, il a fait un peu moins chaud avec une moyenne de 22,5°C en juillet et de 21,8°C en août. Côté maximales, le thermomètre a enregistré 40,6°C à l'été 2020, alors qu'en 2021, le mercure n'a jamais dépassé les 36°C, selon les relevés de la station météo de Saint-Martin-d'Hères (Isère). Une partie de la baisse de température observée sur le toit est donc imputable à la météo, selon le rapport.
Un effet rafraîchissant à l'intérieur et autour du bâtiment.
Les relevés sont formels, la surface du toit est moins brûlante avec la peinture blanche. Mais qu'en est-il de l'air à l'intérieur du bâtiment ? Toujours selon le rapport de Canopée, "la température moyenne intérieure a diminué de 4,3°C" entre l'été 2020 et 2021. Cependant, "cette diminution résulte à la fois du traitement de la toiture et des conditions climatiques", rappellent les auteurs du rapport. Pour corriger ce biais, le bureau d'études a comparé l'écart observé entre l'air extérieur et l'air intérieur pour l'année 2020 et 2021. Le rapport conclut ainsi à une réduction de l'écart moyen entre la température intérieure et la température extérieure "de 1,1°C" d'une année à l'autre.
Concrètement, en 2020, il faisait en moyenne 4,4°C de plus dans la Bifurk, par rapport à la température de l'air à l'extérieur du bâtiment. Tandis qu'en 2021, il faisait seulement 3,3°C de plus à l'intérieur de la pépinière associative, en comparaison avec l'air extérieur. Le toit blanc limite donc le réchauffement de l'air lors de fortes chaleurs. Cependant, "ce procédé ne permet pas d'éviter qu'un bâtiment comme la Bifurk s'échauffe sur le moyen terme en période estivale", note le rapport, puisque l'air reste plus chaud à l'intérieur qu'à l'extérieur.
La différence peut ainsi sembler marginale, mais un écart d'un degré peut avoir un impact important en période de canicule. Cela est particulièrement vrai durant la nuit, où chaque degré compte pour éviter les décès liés à la chaleur. En effet, le toit blanc n'est pas seulement bénéfique pour l'air intérieur du bâtiment. Selon Tangui Le Dantec, passer d'un toit en asphalte noir à un toit blanc, "permet de faire baisser l'îlot de chaleur local, avec un effet visible la nuit où la température baisse de plusieurs degrés". En effet, l'asphalte noir, qui absorbe beaucoup de chaleur, la stocke aussi dans le temps. Et la nuit, cette chaleur continue de se diffuser.
Une solution pas adaptée aux chaussées.
Faut-il donc commencer à tout repeindre en blanc pour lutter contre les effets du changement climatique ? A Los Angeles (Etats-Unis), la municipalité a fait ce pari. Depuis 2017, la ville expérimente des "chaussées fraîches", c'est-à-dire des kilomètres de routes repeints en blanc. L'effet sur les îlots de chaleur est, semble-t-il, visible depuis l'espace. "Nous avons constaté une différence de 10 à 12 degrés Fahrenheit [5,5 à 6,6°C] entre les zones que nous avons peintes et les zones que nous n'avons pas peintes au niveau de la rue", explique sur le site de la Nasa le physicien américain Glynn Hulley.
Cependant, si cette technique permet de lutter contre les îlots de chaleur, les rues blanches de Los Angeles peuvent se transformer en four pour les piétons, rapporte une étude conduite par deux chercheuses américaines. "L'énergie lumineuse qui touche une surface blanche n'est pas dissipée, mais réfléchie. Donc même si le sol est moins chaud, quand on marche sur la chaussée, on cuit, car c'est le corps humain qui absorbe l'énergie solaire", explique Tangui Le Dantec.
Il préconise de réserver la peinture blanche aux toits en hauteur, hors de la vue des piétons et des autres habitations. "Attention à l'effet éblouissant !", abonde Claire Doussard, docteure en aménagement et spécialiste des questions d'urbanisme durable. "Dans l'espace public, le blanc n'est pas une solution. Il vaut mieux privilégier des sables stabilisés", explique-t-elle. Un conseil que la ville de Grenoble applique déjà, notamment dans le quartier des Amiraux. "On a mis des granulats beiges, gris clair, mais jamais du blanc au sol", assure Margot Belair, adjointe d'Eric Piolle à la mairie de Grenoble, en charge de l'urbanisme. "C'est plus joli que le noir et la chaleur s'accumule moins, mais c'est plus cher. C'est un choix politique."
Repeindre les toits en blanc "n'est pas une solution miracle. Cela doit faire partie d'un panel de solutions", ajoute l'adjointe. Car si le coup de peinture s'avère efficace, il ne peut pas à lui seul contrer un îlot de chaleur. Selon les spécialistes, plusieurs options complémentaires apparaissent. Parmi elles : la végétalisation de l'espace en augmentant la surface de la canopée pour obtenir de l'ombre, la perméabilisation des sols en privilégiant la terre au bitume, ou encore une réflexion sur la ventilation des villes, en évitant d'obstruer la circulation de l'air dans les zones urbaines concernées.
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