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El Roslino
Saladin.
Habile stratège, le sultan Saladin, à la tête d'une armée de 30 000 soldats, finira par vaincre les croisés en 1187. Il reprendra Jérusalem pour en faire de nouveau un des grands sanctuaires islamiques.
Le 2 octobre 1187, Jérusalem vit un nouveau tournant. Après quatre-vingt-huit ans aux mains des Francs, les musulmans reprennent la ville. Sur la coupole dorée du Dôme du Rocher, d'où Mahomet serait monté aux cieux en l'an 620 de notre ère selon la tradition islamique, des soldats mettent à terre la croix dressée par les Occidentaux, aux cris d'« Allah est grand ».
Yeux noirs et barbe soignée, un petit homme de 49 ans pénètre en vainqueur à l'intérieur des remparts. Il s'appelle Salah al-Din Yusuf, plus connu sous le nom de Saladin. Le chef des troupes musulmanes vient d'accomplir l'objectif de sa vie, et de gagner sa place au firmament des figures de l'islam. Depuis un camp dressé hors des murailles, des dignitaires religieux d'Egypte et de Syrie, invités pour l'occasion, assistent stupéfaits à l'événement. Saladin s'est même offert le luxe de choisir le jour de son triomphe : la date anniversaire de l'ascension au ciel du Prophète.
Guerre sainte contre les Francs.
Que de chemin parcouru depuis sa naissance en l'an 1138 dans une famille de notables kurdes à Tikrit, au nord de Bagdad, à 900 kilomètres à l'est de Jérusalem ! A cette époque, la reprise de la Ville sainte par les musulmans n'était pas encore une priorité : « On aurait tort de penser que le XIIe siècle fut tout entier tendu, dans l'esprit des musulmans et de leurs princes, vers la reconquête de la Ville sainte », écrit Vincent Lemire dans Jérusalem, histoire d'une ville-monde (éd. Flammarion, 2016).
En 1152, la famille du jeune kurde lui trouve une place à Alep auprès du prince turc Nour ad-Din, l'homme fort du Proche-Orient musulman qui essaie de l'unifier pour en chasser les croisés. Son père, Zengi, avait déjà amorcé le mouvement, en reprenant la cité d'Edesse aux Francs en 1144 (à l'origine de la deuxième croisade). Dans les années 1150-1160, Nour ad-Din poursuit et amplifie l'œuvre paternelle.
Il réactualise aussi l'idée de jihad (la guerre sainte), déjà ancienne dans l'islam, en l'orientant contre les Francs. La revanche sur la première croisade de 1099 est enclenchée avec, cette fois-ci, les musulmans dans le rôle des « libérateurs », et les chrétiens d'Occident dans celui des « infidèles ».
Jérusalem redevient l'une des trois villes saintes de l'islam.
Saladin, devenu ami de Nour ad-Din, est envoyé en Egypte dans les années 1160. La région du Nil est alors contrôlée par un calife affaibli, un chiite, alors que Nour ad-Din défend l'islam sunnite. L'objectif est de contrôler cette région stratégique, et d'unifier ainsi l'Egypte et la Syrie. Saladin finit par prendre le pouvoir au Caire.
Et à la mort de Nour ad-Din en 1174, le kurde de Tikrit reprend son flambeau. Il s'empare de toutes les terres contrôlées par son ancien ami, au détriment de ses héritiers légitimes, et bâtit un empire immense, de l'Egypte à la Haute-Mésopotamie, et de la Syrie au Yémen. Autour de 1180, le Proche-Orient arabe est sous son autorité.
L'aura de Saladin ne cesse de grandir, servie par une image flatteuse : grand guerrier, souverain simple et magnanime, homme droit et pieux... Reste l'objectif suprême : Jérusalem.
Tout se joue durant l'été 1187, sur la butte de Hattin, à 150 kilomètres au nord de la Ville sainte. Parvenant à vaincre l'armée de Guy de Lusignan, nouveau roi sans envergure de Jérusalem, sur un plateau aride qui domine la ville à l'ouest, les 30 000 soldats de Saladin reprennent Jérusalem sans obstacle quelques mois plus tard.
Presque une formalité. Arrivé aux portes d'al-Quds (le nom arabe de Jérusalem), le sultan passe un accord : les chrétiens latins peuvent quitter la ville en échange d'une rançon et les chrétiens d'Orient (grecs, arméniens, syriens...) sont, eux, autorisés à rester. Après avoir rendu la cité intacte à l'islam et fait « purifier » à l'eau de rose et à l'encens la mosquée al-Aqsa, qui servait de base aux Templiers, Saladin est au faîte de sa gloire.
Il dote la ville d'institutions islamiques et fait établir une madrasa (école coranique), un couvent pour les soufis, qui appartiennent aux confréries spirituelles de l'islam, mais aussi un édifice pour accueillir les pèlerins les plus pauvres, un hôpital et deux mosquées : l'une sur le mont des Oliviers et l'autre près de l'église du Saint-Sépulcre.
La plupart de ces institutions ou lieux religieux sont installés dans des bâtiments déjà existants. Ainsi, l'église Sainte-Anne est-elle transformée en école coranique en 1192. Jérusalem devient de nouveau un sanctuaire musulman : l'une des trois villes saintes de l'islam, au même titre que La Mecque et Médine.
A sa mort, un an plus tard, Saladin laissa une œuvre urbaine inachevée. Les musulmans pouvaient craindre le pire avec la continuation des croisades chrétiennes. Mais les chevaliers du Christ n'eurent jamais l'occasion - ni la volonté - d'atteindre de nouveau la ville, aux mains des Mamelouks d'Egypte en 1261. Cette dynastie, qui régna sur l'Etat islamique le plus puissant de son époque, (il s'étendait de l'Egypte à la péninsule arabique) n'avait qu'un but en tête pour Jérusalem : poursuivre l'œuvre de Saladin.
Pendant deux siècles et demi, hammams, souks et une vingtaine de madrasas furent bâtis aux quatre coins de la ville qui se repeupla de musulmans et de Juifs. L'afflux des pèlerins chrétiens d'Occident fut pris en charge par les Mamelouks qui leur faisaient payer un droit de passage pour entrer dans le Saint-Sépulcre. Monument que Saladin avait rendu à l'église orthodoxe en 1187...
Puis Jérusalem changea encore de mains. Après sa victoire sur les Mamelouks en Syrie en décembre 1516, l'Empire ottoman se vit remettre les clés de la mosquée al-Aqsa et du Dôme du Rocher.
Le sultan Soliman le Magnifique (1520-1566) redonna tout l'éclat aux joyaux de l'islam en faisant remplacer, par exemple, les mosaïques omeyyades du VIIe siècle du Dôme du Rocher par de splendides céramiques bleues ottomanes, et en ordonnant la construction des remparts et des portes de Jérusalem, toujours existantes. Comme pour s'inscrire dans la lignée de ce grand conquérant et bâtisseur que fut Saladin, qui, en ce jour d'octobre 1187, marqua à jamais la ville de son empreinte.