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El Roslino
Des colis d'aide humanitaire parachutés sur la ville de Gaza, le 25 mars 2024.
Dix-huit Palestiniens sont morts en tentant de récupérer de la nourriture parachutée, lundi 25 mars, selon les autorités de la bande de Gaza, dirigées par le Hamas. Douze d'entre eux ont péri noyés au large d'une plage de la ville de Gaza, après la chute de provisions en mer, tandis que six autres ont été tués dans des bousculades. "Quand les parachutes sont tombés dans la mer, (...) des jeunes hommes et des garçons ont pataugé dans l'eau pour récupérer des boîtes", a raconté un témoin à l'AFP. "Malheureusement, certains d'entre eux ne sont jamais revenus".
À la suite de ce drame, l'organisation islamiste a appelé mardi à cesser le parachutage de colis. Elle dit avoir "toujours prévenu les pays conduisant des opérations de largage aérien du danger", notamment "car une partie de cette aide tombe dans la mer". Début mars déjà, plusieurs colis aux parachutes défaillants avaient percuté des habitants de la ville de Gaza, faisant cinq morts et 10 blessés. Ces opérations sont menées par plusieurs pays arabes et occidentaux afin de contourner le blocus du territoire par Israël, qui complique l'entrée des camions dans l'enclave. Mais plusieurs ONG dénoncent une méthode à la fois inadaptée et insuffisante alors que l'ONU redoute une famine généralisée. Franceinfo vous résume ce débat.
Il peut être dangereux pour la population
Le largage aérien a été utilisé pour la première fois par les Nations unies en 1973 dans le Sahel occidental, où la population souffrait de famine, rappelle le Programme alimentaire mondial (PAM). Par la suite, plusieurs pays ont livré de l'aide par ce moyen, lors de la guerre en Irak (2003-2011) ou encore au Soudan du Sud (2013-2020).
La préparation d'un largage est précise et complexe. Chaque colis doit être emballé solidement pour que son contenu résiste à l'atterrissage. Le largage peut être effectué à des altitudes allant de 300 à 5 600 mètres, explique le PAM - dans les zones de conflit par exemple, l'avion doit voler suffisamment haut pour ne pas risquer d'être touché par l'artillerie au sol. La météo est également scrutée, car des vents violents ou des tempêtes de sable peuvent affecter la précision du parachutage. "Une préoccupation première est la sécurité des destinataires", a expliqué à l'AFP Jeremy Anderson, lieutenant-colonel de l'armée de l'air américaine. "On s'assure que si le parachute ne s'ouvre pas, il finisse en mer et de ce fait ne blesse personne."
Mais malgré ces précautions, les largages de colis ne sont "pas sans risques", alertait auprès de franceinfo Lucile Marbeau, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en France. Le 8 mars, au moins cinq personnes ont été tuées lors d'un largage de colis dont l'un des parachutes était visiblement défaillant. Une vidéo authentifiée par le New York Times montrait également d'autres colis sans parachutes. D'autres images montrent des provisions échouant en mer. "Le largage doit être un dernier recours", pointe auprès de franceinfo Jonathan Fowler, porte-parole de l'UNWRA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. "Il est utile dans des zones inaccessibles. Mais à Gaza, cela pourrait être différent, car des voies terrestres existent", rappelle l'humanitaire à franceinfo.
Il engendre des situations de "chaos"
Autre conséquence : les violences que ces largages engendrent, dans un contexte de tension extrême. "Tous les jours, des personnes sont blessées, voire tuées. Tout le monde se bat pour obtenir des produits de base comme de la farine, des conserves, de l'eau, des lentilles, des haricots, des pois chiches et du halva", a décrit à l'AFP Ahmed al-Rifi, un habitant de la ville de Gaza. "Tout le monde a faim, c'est le chaos pour obtenir de la nourriture. Parfois, il y a des fusillades, des blessures et des meurtres", témoigne le Gazaoui.
Ouday Nasser, un autre habitant joint par l'AFP, décrit des scènes de désordre : "Lorsque nous atteignons la zone de largage, une grande foule se rassemble, cela entraîne des bagarres, le chaos. Certains tombent au sol dans la bousculade, les plus forts l'emportent sur les plus faibles. Parfois, certains utilisent un couteau, ou même tirent".
"Ce qui devrait être un effort humanitaire s'est transformé en bagarres et en coups."
Ouday Nasser, habitant de la bande de Gaza
à l'AFP
"Les gens ont tellement faim qu'ils sont prêts à prendre tous les risques pour de la nourriture", déplore Jonathan Fowler de l'UNWRA. "Les largages augmentent ces prises de risque, car les gens sont complètement désespérés". Le porte-parole rappelle que "la situation est si désastreuse" dans le territoire palestinien qu'il n'y a aucune autorité pour organiser la réception de ces largages, ni pour vérifier que les personnes les plus nécessiteuses y ont accès. "Ce sont les plus forts, les jeunes hommes, ceux qui en ont le moins besoin", qui en bénéficient, décrit auprès de France 2 Jamie McGoldrick, coordinateur humanitaire à l'ONU. La plupart du temps, "la population court vers les colis et les premiers arrivés sont les premiers servis. Ils mangent immédiatement la nourriture", reprend Jonathan Fowler.
Il ne peut suffire à combler les besoins des Palestiniens
Selon l'ONU, la plupart des 2,4 millions d'habitants de la bande de Gaza sont menacés par la famine. Face à cette catastrophe, les largages ne sont pas suffisants. A titre d'exemple, lundi, un avion américain a transporté 46 000 rations militaires, selon l'armée américaine. Il avait pour destination le nord de la bande de Gaza, où subsistent 300 000 personnes, et où l'UNWRA dit être interdite d'accès. Depuis le début de ces opérations, l'Administration civile israélienne dans les Territoires palestiniens a recensé 44 parachutages.
"Nous avons besoin de 500 camions d'aide par jour pour faire face aux besoins de la population", insiste Jonathan Fowler, soit le nombre de véhicules qui entraient quotidiennement dans la bande de Gaza avant le 7 octobre, selon l'ONU. Mais aujourd'hui, "la moyenne de camions arrivant chaque jour est de 155 véhicules", alerte-t-il. Ce mode d'acheminement est pourtant bien plus efficace :
"La capacité de stockage d'un avion est bien moindre que celle d'un camion."
Jonathan Fowler, porte-parole de l'UNWRA
à l'AFP
La plupart de la nourriture larguée est "prête à être consommée", rappelle Jonathan Fowler. Il peut s'agir de rations militaires, de conserves de thon, de barres protéinées... "Ils aident à combattre la faim, c'est sûr, mais pas si vous devez partager votre portion avec plusieurs personnes", pointe-t-il. Mahmoud Shalabi, directeur du programme de l'ONG Medical Aid for Palestinians, déplore auprès de CNN le largage de produits qui nécessitent d'être réchauffés au micro-ondes alors qu'"il n'y a pas d'électricité" dans la ville du nord de l'enclave où il se trouve. Selon ce responsable palestinien, la plupart des colis ne contiennent de la nourriture que pour deux ou trois repas.
Il coûte plus cher que des convois par la terre
Selon le PAM, affréter un avion plutôt qu'un camion pour délivrer de l'aide coûte aussi sept fois plus cher. L'avion nécessite notamment davantage de personnel et de carburant, décrit Jonathan Fowler. Un porte-parole de la Maison blanche, John Kirby, a reconnu que les parachutages étaient "un complément, et non un remplacement" de l'aide humanitaire acheminée par la route, rapporte l'agence américaine AP.
Face à ce constat, les appels se multiplient pour qu'Israël ouvre davantage de points de passage routiers. "Les parachutages sont symboliques", a déclaré à Al Jazeera Dave Harden, ancien directeur de l'Agence des États-Unis pour le développement international en Cisjordanie. "En réalité, ce qu'il faut, c'est davantage de passages [ouverts] et davantage de camions qui y circulent chaque jour." A l'heure actuelle, seuls deux points de passage vers la bande de Gaza sont ouverts, depuis l'Egypte au niveau de Rafah, et depuis Israël à Kerem Shalom. Tous les camions doivent en premier lieu être contrôlés par l'armée israélienne. Un processus qui implique des jours d'attente.
"L'ouverture des voies terrestres est la seule solution pour faire face aux immenses besoins."
Jonathan Fowler, porte-parole de l'UNRWA
à franceinfo
Les largages, "cela ressemble à une mesure temporaire facile... Mais ce n'est pas la solution", critique auprès de l'AFP Shira Efron, chercheuse au centre de réflexion américain Israel Policy Forum. Pour elle, "c'est aussi un moyen pour les pays de montrer qu'ils font quelque chose".
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